497 : Le Chevalier à la Défense & le Manoir de Medbourne

L’An de Grâce 497, récit d’une année sombre qui vît la perte de grands chevaliers.

Lorsque vînt la Fête de Pâques, la Comtesse Ellen, régente du Comté de Salisbury, fît réunir ses vassaux dans son humble demeure, comme le voulait la coutume, afin d’envisager l’avenir du royaume.
Mon Seigneur Lige, le Duc de Silchester profita de cette époque de l’année pour me renvoyer auprès de la Dame de Salisbury avec un nouveau message et je craignais que ceci ne devînt aussi une tradition.

Lorsque j’arrivais à proximité du château, je demeurais un instant sur une colline qui m’offrait une vue plongeante et dégagée sur la vallée en contrebas et, juché sur Tonnerre d’Argent, mon fier destrier, je constatais que les travaux, qui devaient offrir protection aux habitants de la ville de Sarum au moyen d’un rempart de pierre, avaient débuté. J’estimais qu’il leur faudrait encore trois années supplémentaires avant achèvement.
Je flattais l’encolure de ma monture et intima l’ordre à mon jeune écuyer Gillian de se porter en avant pour annoncer ma venue.

Lorsque je fus introduit auprès de la Comtesse, dans une salle commune surchargée de fumée lourde d’encens et de feu de bois, je remarquais que peu de chose avait changé. Pages et autres copistes se fondaient nerveusement dans un rassemblement de chevaliers, pour certains moroses et aigris. Je saluais la Comtesse et lui transmis le message du Duc Ulfius qu’un scribe s’empressa de lire de sa voix claire.
La lettre faisait état de la politique du Duc visant à garantir la sécurité de son territoire. Elle mentionnait son alliance avec le Roi saxon à l’Est, Ælle, et invitait Dame Ellen à suivre cette politique pour se prémunir contre certaines incursions saxonnes qui diminuaient inévitablement les richesses du Comté.
Le sujet fût rapidement débattu ; Ælle ne constituait pas une menace immédiate pour le Comté de Salisbury, car il ne disposait d’aucune frontière directe avec ce dernier, bien qu’il ne fut qu’à quelques jours de marche. En outre, les risque à prendre pour faire parvenir au Roi saxon un messager et lui présenter un traité d’alliance étaient conséquents. Trop d’impondérables eurent tôt fait d’avoir raison du message du Duc, mais la question resta tout de même en suspens.

Je retrouvais finalement les chevaliers avec qui j’avais pu faire connaissance l’année passée, et constatais qu’ils se portaient au meilleur de leur forme.

Quelques jours passèrent, le temps nécessaire pour apaiser les relations diplomatiques avec ses voisins, gérer les ressources du comté, permettre aux rumeurs les plus obscures de naître, voir celles, passablement fondées, mourir, débattre de choses et d’autres, traiter des questions sans réelles importances, chasser, manger… Jusqu’au jour où la Comtesse en vînt à rappeler à ses chevaliers que son défunt mari, Sire Roderick, avait des obligations envers un sorcier et que ce dernier demandait prestement son aide.
Sire Jordan et Sire Heringdale nourrissaient visiblement quelques rancunes à l’égard de l’un de ces mages, et pas des moindres, puisqu’ils avaient un demeurant à régler avec Merlin, celui dont on disait qu’il avait capturé et enlevé le fils d’Uther Pendragon, ce sorcier même que nous rencontrâmes quelques heures après que la Comtesse m’invita à rejoindre Sire Prisor, Sire Norbert, Sir Jordan et Sire Heringdale, pour aller payer les « dettes » de son mari décédé.

Merlin montre le chemin

Nous rejoignîmes le vieil homme à la lisière de la forêt qui jouxtait les terres de Sarum et je pris la décision de le saluer vaguement mais de ne point lui parler de peur qu’il ne me transformât en crapaud.
Il s’engagea dans cette forêt sombre qui ne me disait rien qui vaille tant le chemin qu’il nous fît emprunter paraissait vivant et animé sous chacun de ses pas. Nous atteignîmes bientôt un sentier étrange. Nous apprîmes qu’il avait été tracée par les Saxons qui avaient abattu les arbres afin de pouvoir circuler. Ces derniers avaient, dît-on, amassé moult trésors et richesses, résultats de leurs pillages, et qu’ils les avaient caché plus au Nord, dans des endroits tenus secrets au sein même de la forêt, le temps de pouvoir les acheminer vers un port de fortune situé au Sud pour les transporter dans un endroit plus sûr.
Merlin nous révéla qu’il avait affaire au vieux port mais que nous devions partir à la poursuite d’un convoi sur la route pour lui assurer toute la tranquillité dont il avait besoin. Nous nous exécutâmes.

Lorsque nous parvînmes enfin à repérer les traces fraîches laissées par les Saxons, nous décidâmes d’envoyer deux éclaireurs en avant afin de mesurer leur force, je fus l’un d’eux et Sire Prisor m'accompagna. Mais grand mal nous en prît car nous fûmes repérés par quelques archers de leur arrière garde qui lâchèrent sur nous des traits négligents, et le temps de regagner ceux qui patientaient en retrait, ils eurent le temps de se préparer à une éventuelle attaque.

Le convoi se composait d’une dizaine d’hommes d’arme indépendants, dont deux archers, auxquels venaient s’ajouter le mystérieux Cavalier à la Défense dont Merlin nous avait touché deux mots auparavant, quatre chariots, et plusieurs Cymriques réduits en esclavage.
Nous nous élançâmes pour remonter leur colonne mais quand nous fondîmes sur eux, ils avaient eu l’ingénieuse idée de réduire la ligne de front en faisant usage de leurs chariots et l’espace vide qu’ils avaient intentionnellement laissé, étaient occupés par des piquiers qui semblaient prêts à en découdre pour s’emparer de nos cottes de mailles, armes, chevaux et richesses transportées… un butin qui viendrait s’ajouter à leur trésor. Les archers avaient pris place dans les chariots, une position de choix, fort heureusement, ils n’étaient pas nombreux.

Nous chargeâmes…
A deux de front, les montures piétinèrent nos premiers assaillants tandis que leurs cavaliers tentaient de parer et dévier des coups de lance meurtriers qui avaient pour but de les désarçonner. Bloqué à l’arrière dans cet entonnoir, je mis pied à terre et récupérais ma grande hache pour aller m’occuper des deux archers qui nous flanquaient. C’est alors que le Cavalier à la Défense déboula par l’arrière pour nous prendre à revers, suivi de quelques hommes. Il me prît à parti et tandis que Sire Heringdale, Sire Jordan et Sire Norbert s’enfonçaient plus avant et mettaient pied à terre pour défaire quelques hommes d’arme, Sire Prisor et moi défendions nos arrières.

Le Cavalier à la Défense, rompu au combat, eût tôt fait de me défaire et je tombais lamentablement sous l’assaut implacable de cet ennemi trônant sur son fort destrier.
A peine conscient du contexte environnant, j’entrevis mon ennemi fondre sur mes trois compagnons à l’avant-garde et me doutais qu’il avait défait Sire Prisor. L’inconscience me guettait mais je vis Sire Heringdale et Sire Jordan tomber. J’eus toutes les peines du monde à rester éveillé et ma dernière image fût celle de Sire Norbert aux prises avec le Cavalier à la Défense. Je remarquai alors qu’il portait cet étrange crâne en guise de casque, une tête prélevée très certainement sur un animal que je n’identifiais guère mais qui arborait des canines démesurément longues. Je compris alors son surnom, sourît, et m’évanouis.

Pendant mon état d’inconscience, je fis un rêve étrange, étais-je mort ? Car c’est le familier du malin qui se présenta devant moi… J’étais terrifié. Depuis une colline sur laquelle je me tenais, au côté de mes compagnons, j’observais un village tout ce qu’il y avait de plus normal quand soudain, le grondement des arbres bousculés derrière nous et un sifflement maléfique me fît relever la tête. Un serpent gigantesque passa près de nous, son corps écailleux et humide reflétait la lumière pâle et terne du soleil. Le monstre vînt se lover autour du village, l’encerclant en suivant le sens du démon et sa tête menaçante s’élança haute vers le ciel. Il se changea en pierre et on eût dit là que la ville était désormais fortifiée, ceinte d’un rempart puissant au centre de laquelle demeurait un donjon imprenable. Les portes s’ouvrirent et l’on vît des louveteaux, des agneaux, et des aiglons s’enfuir en tenant dans leur gueule et dans leur serres les bébés qu’ils voulaient protéger… Des serpents, eux, rampèrent vers la ville pour se l’approprier… Une chose était certaine, le malin était à l’œuvre en ce bas monde.

Quand je me réveillais, j’appris tout d’abord que j’étais resté inconscient deux jours de suite. Nous avions donc survécu et nous étions en train de bivouaquer dans un port de fortune, celui dont Merlin nous avait parlé. Je compris que Sire Norbert avait achevé le Cavalier à la Défense et ses derniers hommes seul mais je ne le félicitais pas car peu avare de compliment, ou peut-être était-ce simplement de la fierté mal placée. Nous avions avec nous un certain nombre de Cymriques faméliques, certains nous avaient rejoint au port, d’autres avaient été libérés des fers après notre assaut sur le convoi.
Je n’étais point le seul à être blessé et notre période de convalescence dura plusieurs semaines. Nous eûmes la chance d’avoir Merlin comme soigneur, il nous prépara un onguent fort odorant qui aida à la cicatrisation de nos plaies.
Certains d’entre nous, Sire Jordan et Sire Heringdale, vinrent à lui poser des questions qui ne concernaient pas les autres mais je captais quelques brides de leur conversation et me rendît compte qu’ils avaient fait le même rêve que moi. Nous en discutâmes et Merlin nous fournît des détails.

Il parla d’un village nommé Medbourne, situé au cœur de la Forêt Sauvage, une forêt ordinaire jusqu’à la mort d’Uther, mais devenue bien étrange depuis, ne laissant aucun moyen de communication avec le Comté de Tribuit et sa population. Sire Straterius, l’homme qui régnait sur Medbourne, avait eu une fille belle et pure qui tomba enceinte près du puits du village, le jour de la Samhaine. L’enfant à qui elle donna naissance, Gorboduc, avait la taille d’un homme à sept ans et des pensées si démoniaques qu’une bande de pillards sans scrupule rallia sa cause. A neuf ans, il assassina son grand père de ses propres mains et fît détruire l’Eglise de Saint Hélène, la Sainte gardienne des puits.
Merlin nous avoua que Gorboduc était le mal incarné et qu’il ne fallait pas avoir de pitié pour un homme de son acabit qui règnait sur des terres où le danger était grand.

Lorsqu’enfin nous fûmes totalement guéris, Sire Heringdale et Sire Jordan décidèrent qu’il fallait se rendre à Medbourne, et je compris qu’ils avaient des choses à y faire bien qu’ils ne préférèrent rien dire.
Merlin mît à notre disposition un écureuil pour le moins singulier qui connaissait la route vers le village perdu.

Nous assistâmes au départ du sorcier. A bord d’une barque qui ne devait pas faire long feu sur la mer, nous le vîmes s’enfoncer dans la brume épaisse après qu’il nous eût révélé sa destination première, la Bretagne puis le Royaume de Ganes… Qu’allait-il donc y faire ?

L’écureuil nous fût d’une aide absolument précieuse. Sans lui nous n’aurions jamais pu trouver Medbourne, à croire que la forêt cachait à la vue de tous les ignominies qui se déroulaient au sein du village. D’ailleurs nous perdîmes la trace des éclaireurs et il nous fallut un certain temps avant de les retrouver. Les Cymriques étaient avec nous, ils avaient choisi de nous suivre.
Lorsque nous nous tînmes enfin sur l’une des collines encerclant la clairière profondément enfoncée dans la forêt qui abritait le village de Medbourne, je repensais au rêve que nous avions tous fait… Le malin était à l’œuvre en ce bas monde.
Le village était doté d’une population active encadrée par des contremaîtres et affairée à la construction d’une tour et d'un imprssionnant rempart. Les champs étaient laissés en jachère et peu de monde avait l’air de s’en soucier.

Je jetais un regard vers mes deux compagnons, Sire Jordan et Sire Heringdale, que nous avions suivi et qui, bien malgré eux et quoiqu’on en dise, étaient à la tête de notre expédition dont eux seuls connaissaient le but. Je remarquais alors la moue dubitative sur leur visage et compris qu’ils ne savaient pas comment agir. Je décidais de me lancer, il me paraissait utile de prendre contact avec ce Gorboduc.

Chevalier contre un bandit

Arrivé aux abords du village, je m’arrêtais quand un paysan m’apostropha. Je lui fis clairement comprendre que je souhaitais rencontrer son seigneur mais il me fît savoir sans aucune once de respect que son seigneur ne désirait point nous rencontrer. Je lui expliquais que ses manières ne convenaient guère quand il s’adressait à un homme de mon rang et décidais de le corriger. Il ajouta que s’en prendre à lui était la meilleure façon de faire venir son seigneur… J’allais faire d’une pierre deux coups.
Mais quand je m’attaquais à ce maudit ruffians, je compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple paysan mais d’un bandit entrainé qui vouait une haine colossale à l’égard des chevaliers. En quelques passe d’armes, lui et moi rameutâmes plusieurs d’entre de ses congénères qui se joignirent au combat. Il me blessa profondément si bien que je tombais à terre inconscient tandis que mes compagnons s’engageaient à leur tour.

Nous perdîmes le combat face à Gorboduc et ses lieutenants. Merlin n’avait pas menti quant aux origines de l’enfant maudit, c’était un géant fort comme un ours, et il n’eût aucun mal à briser la garde de Sire Prisor pour l’abattre. Sire Heringdale, un chevalier courageux et brillant, mourût au cours de cet affrontement.
Gorboduc exigea une rançon pour ceux qui survécurent et nous pûmes regagner nos contrées d’origine avec le goût amer de la défaite dans la bouche… Cette histoire n’était pas terminée.