496 : A la rencontre du Roi Cerdic

Quelques semaines seulement après la cérémonie d’adoubement qui fît de moi un chevalier de Silchester, je me rendais à Sarum en compagnie de mon jeune écuyer afin de transmettre à la Comtesse de Salisbury un message de la plus haute importance de la part mon Seigneur lige, le Duc Ulfius de Silchester.

J’arrivais en vue de sa modeste demeure au premier jour de la Fête de Pâques. C’était un matin frais et pluvieux qui rendait les routes difficilement praticables. Le château dans lequel vivait la Comtesse Ellen, qui était devenue bien malgré elle régente du Comté après le décès de son mari, le Comte Roderick, à la Bataille de Saint Alban, n’avait rien d’extraordinaire, mais quand je pénétrais dans la salle commune, je découvris qu’il abritait pas moins de trente chevaliers vêtus de leurs plus beaux atours pour commémorer la résurrection du Christ selon la tradition. On pouvait en outre remarquer quelques pages s’agitant nerveusement afin de satisfaire correctement les volontés de leurs maîtres ainsi que du beau monde qui n’avait rien à faire là tandis que la Comtesse rendait quelques verdicts qui concernaient son royaume.

Alors que je me rapprochais, je distinguais parmi la foule quelques hommes qui allaient vraisemblablement faire irruption dans mon histoire. Parmi eux, je remarquais Sire Heringdale, un chevalier converti depuis peu au Christianisme Britannique qui vouait une haine terrible au Saxons si bien que je sentis peser sur moi son regard débordant de dédain et d’animosité la première fois où nous nous rencontrâmes. Il y avait aussi Sire Norbert de Tisbury, un vieil homme au regard perçant qui semblait détenir une certaine expérience mais qui, je le constatais bien, ne semblait faire démonstration de toute sa vigueur que lorsqu’il s’agissait de défendre ses propres intérêts. Il venait ensuite Sire Jordan, un homme fort discret et je me dis immédiatement en le détaillant qu’était bien inconscient celui qui oserait le défier en duel. En effet il revêtait une cotte de maille d’une rare qualité dont les écailles scintillaient sous la lueur fébrile des torches. Pour les Saxons c’était généralement l’attribut des grands combattants. Je me ravisais cependant en me souvenant que ce nobliau pouvait très bien n’avoir fait que profiter de la richesse de ses ancêtres. Pour finir, je rencontrais Sire Prisor, un chevalier en retrait qui avait visiblement besoin de faire ses marques avant de s’approprier pleinement son rôle.

Il y avait bien d’autres personnes telles que Sire Leo et Sire Lycus ou encore Sire Elad, un homme assez vieux. J’avisais en outre le petit Robert, seul héritier de feu le Comte Roderick, qui s’entrainait vaguement à l’épée de bois en frappant sauvagement les cuissardes d’un homme d’arme en faction dans la salle.

Epée dans la stelle

J’attendis patiemment qu’un page m’introduise et que la Dame m’autorise à lui transmettre le message de Mon Seigneur. Un scribe s’éclaircît la voix afin de le lire à toute l’assemblée. C’était une lettre importante où le Duc Ulfius de Silchester précisait que le Royaume de Logres nécessitait rapidement qu’un roi s’installe à sa tête, un roi compétent, pas un homme simplement capable de retirer l’épée dans la stèle.

Le silence suivant cette lecture fût brisé par quelques chuchotements ; tout le monde savait désormais que le Collegium allait se réunir pour élire un nouveau roi, la procédure était lancé. Je fus pris à parti lorsqu’on me demanda de m’exprimer sur cette fameuse épée mais malheureusement, je n’avais rien entendu la concernant. Sire Brastias, alors de passage à Sarum, affirma cependant qu’il l’avait vue dans un cimetière à proximité de la cathédrale Saint Paul, plantée dans une stèle de pierre.

Le débat concernant l’élection du roi dura toute la journée et bien que personne ne s’écouta, quelques idées transpirèrent de ces discussions stériles. Selon certains, l’épée avait été plantée dans la pierre par Dieu lui-même et celui qui serait capable de l’en retirer serait investi de son pouvoir et donc devait être le nouveau roi. Les prêtres ne s’exprimèrent que peu à ce sujet. Pour les plus sceptiques, Merlin, qui s’était rendu coupable de terribles exactions sur le territoire, avait très bien pu par on ne sait quelle magie puissante sceller l’épée dans la pierre afin de mettre sur le trône l’individu qui lui plairait. Pour ma part, je me dis simplement que cette épée plantée était le résultat d’un acte frauduleux dont je ne sais quel saxon ou breton était à l’origine et que si la populace commençait à croire fermement en cette histoire, alors bientôt un inconnu usurperait le pouvoir pour son plus grand plaisir.

Le lendemain, les discussions tournèrent autour de la protection du Comté et plus particulièrement de la ville de Sarum. Quelques personnes au fait de la l’actualité rapportèrent que les Saxons étaient en marche à l’Est et que certains s’étaient provisoirement scindés en petits groupes afin de lancer de multiples assauts pour piller les terres de l’intérieur. Que les Pictes s’étaient réveillés et commençaient à piller les terres au Nord. Que des bateaux en provenance d’Irlande s’étaient massés dans la Mer de l’Ouest. Et enfin, que Idres, le Roi des Cornouailles, rassemblait une armée pour attaquer le Royaume au Sud.

Toutes ces informations ne présageaient rien de bon et le débat fût alors lancé pour savoir si Sarum devait profiter d’un solide rempart pour se protéger ou tout du moins d’un mur de pierre pour défendre le château. J’écarquillais les yeux. Il fallait bien quatre ans pour construire le premier, un pour le second, et le résultat n’était guère assuré. Avec des délais aussi importants, sachant qu’il ne fallait pas plus de deux semaines au Pictes pour être aux portes du Comté, les Saxons, qui pressaient déjà aux frontières, seraient là en quelques jours tout au plus. Je remarquais en outre que le Comté de Salisbury peinait à prendre des décisions adaptées à la situation et je me disais que le temps n’était pas propice à l’élaboration de telles inepties. Je continuais cependant d’écouter.

Norbert de Tisbury opta pour un tout autre stratagème. Conscient que les Saxons étaient une menace des plus importantes, il proposa d’adouber de nouveaux chevaliers. Aucun étaient en âge, mais certains avaient acquis l’expérience indispensable au statut, Sire Elad étant seul juge. L’objectif était de raffermir la puissance militaire du Comté ; cela devait aussi l’appauvrir et plutôt que de le voir se ruiner, je proposais autre chose en parallèle. Comme les Irlandais mettraient un certain temps avant de percer les défenses des bretons de Galles, tout comme les Pictes au Nord, nous pouvions tenter de couper l’herbe sous le pied du bâtard des Cornouailles qui se faisait menaçant. Pour cela, il suffisait de réunir un petit contingent de chevaliers, rien qui aurait dégarni les murs du Comté, marcher vers la frontière et s’attirer la clémence des Comtés du Sud Ouest afin qu’ils mobilisent quelques uns de leurs hommes pour nous appuyer dans la guerre que nous mènerions pour eux. Cela avait l’avantage de permettre au Comté de récupérer quelques trésors qui serviraient à la levée de chevaliers… Ce fût mal accueilli.

Sous les règles de l’hospitalité, je me devais de proposer toute mon aide au Comté et à ses chevaliers, si peu précieuse soit elle. Je continuais donc en expliquant que les palissades ne seraient jamais prêtes lorsque les saxons fondraient sur nous, qu’il fallait trouver autre chose. Je proposais d’utiliser des éclaireurs, marchands et négociants étaient parfaits pour cela. Ils pouvaient espionner l’ennemi sans se faire remarquer en vendant leurs marchandises, le commerce était important pour tout le monde. Avec un réseau développé, le Comté serait à même de prévoir les coups de leurs adversaires à l’avance et de s’y préparer… Bien malheureusement, l’idée n’eût pas l’effet escompté, seul Sire Prisor semblait avoir saisi toute son importance. Je tentais d’insister en expliquant que sans éclaireur les mouvements des saxons seraient difficiles à maîtriser mais je fus rapidement remis à ma place par quelques chevaliers, notamment Sire Norbert qui prétextait que je n’étais pas chevalier de Salisbury et que ma réflexion ne tenait pas compte des intérêts de tous, notamment des vies humaines que cela impliquait.

Les discussions continuèrent jusqu’à ce qu’un messager essoufflé pénètre dans la salle commune afin de faire savoir à tout le monde qu’un groupe d’une quinzaine de Saxons lourdement armés arpentaient le territoire et se trouvaient à quelques minutes de Sarum… « Les mouvements des saxons seraient difficiles à maîtriser »… Je souris intérieurement.

A l’extérieur mon cheval était déjà prêt, mon écuyer, comme toujours, avait anticipé, brave garçon que ce Gillian. A mon grand désarroi cependant, je constatais que personnes n’étaient prêts tandis que je flattais l’encolure de ma monture… Ces hommes de Salisbury étaient-ils vraiment des chevaliers ou était-ce là une mauvaise farce ?

Quoiqu’il en soit nous rencontrâmes peu de temps après le chef de ces Saxons qui demandait à parler au seigneur des terres, ce qui lui fût accordé. Ils venaient négocier la paix du Comté sur ordre du Roi Æthelswith de la Saxonnie de l’Est (ancien Comté de Caercolum). La Comtesse demanda à cet étranger de patienter à l’extérieur en attendant sa décision. Je me demandais haineusement qui pouvait bien être ces hommes pour se croire en territoire conquis de la sorte et j’affirmais qu’il fallait tuer ce groupe de violeurs et de pilleurs afin de montrer qu’ils n’étaient pas les bienvenus en Bretagne. Il fût décidé qu’ils représentaient une ambassade diplomatique et que donc on ne pouvait leur faire de mal. La Comtesse finît par choisir de refuser les conditions saxonnes et de renvoyer la délégation que nous raccompagnâmes jusqu’aux frontières avec le Duché de Silchester pour s’assurer qu’elle ne commette pas de méfait durant son périple.

Port de Hantonne

Plus tard dans la semaine, nous reçûmes un messager venu du Sud afin d’annoncer qu’une flotte saxonne venait de débarquer prés d’Hantonne. Il fût décidé de repousser l’envahisseur et nous prîmes la route de la guerre. En chemin, nous engageâmes des hommes d’arme pour renforcer notre puissance militaire mais nous apprîmes malheureusement que les premières batailles avaient été remportées par les saxons et que l’armée d’Hampshire était en déroute. Le chef des saxons, un dénommé Cerdic, tenait Hantonne et un de ses messagers vînt nous faire savoir que son roi acceptait de nous rencontrer pour négocier. Nous acceptâmes et je retrouvais à Hantonne les chevaliers du Duché de Silchester. C’est ici même que nous apprîmes que le Haut Roi Vortigern, celui-là même qui avait fait de mon père un chevalier chrétien de Surrey, avait eu un héritier avec Rowena, la fille du Roi Hengest, et que cet héritier n’était autre que Cerdic, et par conséquent, que ce dernier était légitimement l’unique prétendant possible au trône du Royaume de Logres et qu’il avait bien l’intention de le faire savoir aux nobles qui composaient le Collegium. Il laissa aux chevaliers de Salisbury et aux autres délégations présentes deux opportunités : la première, marcher à ses côtés pour le soutenir en tant que futur roi; la seconde, se dresser contre lui et mourir. Je rejoignis inévitablement la décision qui fût prise par les chevaliers de Silchester apprenant par la même occasion que le Duc Ulfius s’était allié aux Saxons de l’Est, mais pour la énième fois, les chevaliers de Salisbury qui se concertèrent, eurent du mal à s’accorder et ce en particulier à cause de Sire Norbert qui s’était fixé de défendre coûte que coûte les vie de la femme et du fils de son neveu mort à la Bataille de Saint Alban. Je n’intervins pas pour lui expliquer que si ce bâtard breton au sang de saxon devenait roi, les Saxons seraient maîtres en Royaume de Logres et pourraient piller et accessoirement violer ce que bon leur sembleraient ; la femme de son neveu, voir le fils, faisaient bien entendu parti de cet avenir peu enviable. Pour leur plus grand bien, ils décidèrent de ne pas s’allier à Cerdic.

Nous quittâmes les terres d’Hantonne pour regagner les nôtres et nous préparer à la guerre. J'appris alors que le Collegium qui s'était réuni à Silchester n'était pas parvenu à désigner un nouveau Roi, faute de participants.
En outre, nombreux furent les pillages Saxons sur les Terres de Salisbury. Et bien que la construction du rempart de la cité de Sarum soit commencé, je doute que le Comté ne puisse tenir longtemps ainsi isolé.