500 : En quête du Roi Sauvage - Le Château de la Félicité

Cette année là, comme l'année précédente, nous nous retrouvâmes, mes amis et moi-même, installés avec tout le confort que je pouvais offrir dans mon humble demeure, autour d'un âtre rougeoyant qui dispensait une chaleur douce dans la salle commune froide et dépouillée de tout signe ostentatoire de richesse.

Armes de Medbourne : Pie de Sable et d'Argent sur Carnation

Nous nous accommodions d'un repas frugal, en silence, et je ne cessais de regarder les boucliers suspendus aux murs nus de la pièce. Ils représentaient nos armes, parmi lesquelles, la Pie de Sable et d'Argent sur Carnation, mon nouveau blason depuis que la malédiction s'était abattue sur moi. Plutôt que de la subir, j'avais décidé de m'en servir... Pour combien de temps ? Certains en riaient grassement, je me disais seulement que c'était chose peu commune que de croiser un chevalier cerné d'innombrables oiseaux piailleurs, si peu commune que ça pouvait impressionner mes ennemis... C'était magie, et la magie avait ce don d'apeurer l'homme simple.

Mon regard se posa sur Sire Norbert, mon ami et complice depuis plusieurs années désormais. Comme moi, il regardait les armoiries, mais si je n'éprouvais qu'une certaine fierté en admirant les miennes, je sus à la lueur de ses yeux qu'une idée germait dans son esprit incisif. Nos regards se croisèrent, nous échangèrent un hochement de tête, un signe d'approbation tacite, le vieil homme savait que je le soutenais, en particulier depuis que je l'avais vu défaire le Chevalier à la Défense et mettre Gordobuc le Géant en déroute.
Il prit la parole et propose que nous passions un pacte de la pointe de nos épées.

Je reconnais par ce Serment, le titre de Questeur du Roi Sauvage, celui-là même que je m'engage à rechercher et à trouver, et ce même si mes intérêts dans cette quête venaient à diminuer. Je promets, si je viens à périr, de laisser à mon successeur le savoir et le libre-choix de me remplacer dans l'accomplissement de cette quête. Sur la parole donnée, et jusqu'à mon dernier souffle.

J'hésitais un instant, repensant à la saison dernière qui n'avait pas été excellente pour mes gens, me dis qu'il y avait nombre de choses bien plus importantes que la traque d'une fée sauvage, puis je me ravisais. Il s'agissait de ne pas abandonner Sire Norbert et mes camarades pour si peu, alors, je me proclamais Questeur du Roi Sauvage à mon tour, et espérais secrètement que cette histoire ne durerait éternellement.
Et Sire Bélias, Sire Nowy et Sire Gwefrfwar en firent de même.

Rocher dans la forêt

L'année passée, deux de mes chasseurs avaient fait montre d'un potentiel acceptable concernant la survie dans cette maudite forêt qui entourait mon domaine. Certes, je n'avais pas à me plaindre, la végétation y était vigoureuse et fournissait amplement le village en bois. Quoiqu'il en soit, les deux hommes furent à nouveau choisis pour nous guider, et après avoir affrété nos montures avec l'équipement nécessaires, nous prîmes la direction de Northampton, au Sud, en suivant un sentier broussailleux. Je m'attendais à quitter la forêt par le Nord au bout de quelques jours de voyage, mais je ne préférai pas partager mon pessimisme avec le reste du groupe.
Au soir du premier jour, nous atteignîmes un petit monticule herbeux, point de passage désormais obligatoire qui nous servait d'abri régulièrement. En cette période, l'air de l'hiver, sec et froid, mordait nos chairs qu'un bon feu ne suffisait pas à réchauffer. La forêt était clairement silencieuse, même si quelques pies, fières, arrogantes et hardies, troublaient ça et là notre tranquillité.

Nos deux guides semblaient relativement confiants, si bien qu'à la fin du deuxième jour, nous parvînmes à gagner l'orée de la forêt qui débouchait sur une vaste clairière. Là, lovés au creux d'une vallée, un bourg peu bruyant, quelques champs et une forteresse se découpaient sur le clair de lune. Nous décidâmes de nous rapprocher en progressant sur le manteau neigeux qui recouvrait les alentours.
Un château de pierre ceint d'une palissade en bois, il ne s'agissait pas d'un endroit anodin comme il nous était arrivé d'en croiser par le passé, non, nous venions de rejoindre Northampton, et à bien y regarder, l'endroit semblait se porter au mieux, ce cher Sire Félix, que je ne connaissais pas encore, avait su faire le nécessaire pour préserver son peuple et assurer sa survie dans l'isolement le plus complet.
Il nous offrit l'hospitalité comme attendu, et nous fûmes chaleureusement accueillis en sa demeure. C'était en outre clair et définitif, le Seigneur n'avait point l'air souffrant, il vivait dans une certaine opulence, jouissait d'un confort notoire, avait bonne allure et était bien portant, ce qui me fit d'ailleurs penser à juste titre que j'avais encore des progrès à faire en matière de gestion. Ce château de la Félicité mettait en avant tout ce que je ne possédais pas.

Nous échangeâmes avec Sire Félix quelques informations fondées, et c'est ainsi que nous découvrîmes qu'il n'avait pas eu de contact avec les gens vivant au-delà de la forêt depuis cinq ou six années : nous comprîmes alors pourquoi il était si enjoué de recevoir quelques visiteurs de bonne naissance.
Puis vint le repas, un repas de luxe, riche en gibiers, fromages, ales et pains. Les troubadours animèrent la soirée et jouèrent jusqu'à l'aube. Nous en profitâmes pour nous détendre et rire. Un barde raconta les exploits de chevaliers légendaires qui vivaient à une époque que je n'osai guère imaginer, un autre nous conta comment las anges de Dieu rejoignirent les rangs des hommes pour les aider à terrasser une armée de démon grâce à leur épées enflammées. J'écoutais, impressionné et admiratif, et me disais que ces anges feraient un allié de poids dans une bataille... Plus jamais je n'oublierai de prier Dieu avant d'engager l'adversaire.
Nous établîmes, en outre, que cela faisait pas moins de deux ans que nous non plus ne savions guère ce qu'il se passait en dehors de cette forêt qui nous obnubilait tant, même si cela ne faisait aucun doute que les Saxons continuaient de progresser sur nos terres sacrées.

Au lendemain, après une nuit relativement courte, nous eûmes l'occasion de visiter les possessions de Sire Félix. Le bourg se suffisait à lui-même, les habitants s'étaient tous reconvertis dans l'utile et l'efficace : charpentiers, forgerons, paysans... pas de superflu. Northampton, doté d'une impressionnante église, avait pourtant la taille de Upavon, mais elle avait réussi un tour de force en survivant avec le strict nécessaire.
J'occupai une partie de mon temps à exposer à Sire Félix combien il était utile de restaurer les voies de communication entre Medbourne et Northampton, mais aussi avec l'extérieur. Il sembla prêt à entamer une relation durable entre nos deux domaines, mais il resta perplexe à l'idée de s'ouvrir au "reste du monde". Sa circonspection fit naître quelques doutes en moi : comment cet homme qui avait vécu normalement pendant des années ne paraissait pas plus transporté que ça à l'idée de lever l'isolement qui pesait sur son peuple ? Il vivait certes bien, j'en convins, mais il pouvait vivre mieux...
Le jour suivant, il fût prévu que nous participions à une partie de chasse, le repas du soir fût alors plus court que le précédent, mais il n'en fût pas moins extraordinaire. Le ton était donné, l'accueil était tout bonnement irréprochable...

La traque du gibier n'avait rien de bien discret, le son des cors se mêlait aux cris des chasseurs pour former une étrange cacophonie assourdissante et insupportable, en vérité, quand les nobles pratiquaient la chasse, il s'agissait plus d'un jeu que d'une lutte pour la survie. Il y avait tellement d'hommes qui progressaient au son des cors ; la plupart des animaux fuyaient, bien entendu, mais il suffisait d'un seul, affolé et désorienté, pour faire la gloire de l'un d'entre nous.
Notre partie semblait bien mal engagée, et il me fallut peu de temps pour me retrouver perdu. Je décidai alors de regagner l'orée du bois, où demeuraient les filles de Sire Félix , qui ne me laissaient guère indifférent, et avec qui je songeais faire plus ample connaissance. La cadette devait avoir 14 ou 15 ans, avait un sourire enjôleur et des jambes robustes, des yeux bleus clairs comme le ciel : elle était tout simplement bonne à marier, et constituait indubitablement un bon parti pour un noble tel que moi.

Tandis que je commençais à étaler quelques exploits tirés de mon histoire personnelle, les chasseurs suivaient la piste d'un robuste sanglier. Par la suite, j'appris que la bête avait porté un coup fatal à la monture de Sire Bélias, et avait gravement blessé celle de Sire Nowy. Ce dernier parvînt cependant à terrasser l'animal d'un coup de lance à hauteur du poitrail, et s'attribua naturellement une gloire certes méritée, mais tout de même exagérée. Cela semblait pourtant suffisant pour me voler la vedette auprès des filles de notre hôte. Je lui jetais un regard méprisant, mais préférais taire mes doutes quant à l'utilité de son cheval qu'il avait probablement dû utiliser comme bouclier pour s'éviter un affrontement direct avec sa proie, une sorte de garde du corps animal, quelle brillante stratégie !
Mais Sire Nowy était un peu trop prompt en affaire, à tel point que Sire Félix dû intervenir pour préciser que ses filles étaient déjà promises, rien moins qu'une leçon d'étiquette basique. Quant à moi, jaloux, j'avais manqué mon heure de gloire et je voulais ma revanche. Nous repartîmes à la chasse...

Je ne fus guère récompensé pendant les quelques heures qui restaient à la journée, mais ce laps de temps fût suffisant pour permettre à Sire Norbert, Sire Bélias et Sire Gwefrfwar de se perdre. Sire Félix tressaillit lorsqu'il eut vent de cette terrible nouvelle ; se sentant manquer à tous ses devoirs à l'égard de ses hôtes, il s'affaiblit considérablement à tel point qu'il dût rester couché quelques jours.
Au lendemain de la partie de chasse, des dispositions furent adoptées pour retrouver les trois chevaliers égarés. Les hommes de Sire Félix se joignirent ainsi à nous pour se lancer sur leurs traces. Bientôt, nous pûmes retrouver Sire Norbert et Sire Bélias, mais Sire Gwefrfwar restait introuvable. Ce dernier s'était détaché du groupe la veille en ayant l'idée de ramener lui-même un gibier extraordinaire, et désormais, le vieillard s'était enfoncé seul dans la forêt pour le moins inhospitalière ; il était tellement fier qu'il n'admettrait jamais s'être perdu... Si fier qu'il n'oserait pas même nous contacter en criant. Quant à moi, je doutais qu'il puisse survivre longtemps au froid intense...
Une journée ne suffit pas à retrouver le vieux chevalier, et nous décidâmes de demander à Sire Félix de nous prêter encore plus d'hommes pour poursuivre les recherches pendant la nuit. Alors que je me rendais compte que les sujets de notre hôte paraissaient extrêmement doués pour se déplacer en forêt, chose qui n'était pas anodine pour de simples paysans et citadins, nous mîmes la main sur Sire Gwefrfwar à l'agonie, prêt à rendre l'âme.

De retour au château, après nous être assurés que notre ami allait bénéficier des soins nécessaires à son état critique, nous décidâmes de prendre une collation ensemble dans les cuisines, et je partageais mes découvertes avec mes compagnons. Entre deux miches de pains, un morceau de fromage et une gorgée de vin, nous conclûmes que Sire Félix était plus proche du Roi Sauvage qu'il ne le laissait paraître, et nous devions donc lui parler de notre affaire.
Chose que nous fîmes dès le jour revenu. Celui-ci se remettait à peine de son coup de fatigue, et s'il nous refusa l'aide de ses hommes pour avancer dans notre expédition, il accepta de nous éclairer sur la destination à suivre. Ainsi, avait-il scellé un accord avec le Roi Sauvage, un pacte qui devait lui permettre de vivre, lui et son peuple, en toute sérénité dans la forêt sans qu'il fût question de manquer de quoi que ce soit. Aucun de ses hommes ne pouvaient nous aider, avait-il précisé, et ce ne fût pas sans lui avoir présenté les blessures de Sire Gwefrfwar comme le résultat d'une ingérence partielle de sa part, mais l'homme avait lui aussi la santé fragile et je n'osai abuser de propos mauvais à son encontre, lui qui s'était montré jusque-là si parfait hôte.

Chevalier affrontant le Serpent tricolore

Quelques jours après la partie de chasse, Sire Gwefrfwar paraissant en état de voyager, nous partîmes avec un pincement au cœur. Vivre au Château de la Félicité, avec ses odeurs, ses gens accueillants, sa nourriture... c'était comme vivre un conte. Il semblait pourtant que nous n'avions pas fini d'être surpris.
Nous prîmes la direction de l'Ouest, et nous nous perdîmes au bout d'à peine une journée. La nuit passée, nous tentâmes de rebrousser chemin, en vain. Au cours de l'après-midi, un serpent étrange, dont les trois couleurs semblaient se déplacer le long de son corps aux dimensions tout à fait exceptionnelles, profita de notre égarement pour fondre sur nous en nous prenant au dépourvu. Son corps luisant et musculeux était vif, ses yeux perçants, acérés comme ses crochets. Nous entreprîmes de le combattre avec tout l'espoir et la force qu'il nous restait, mais nos premiers coups rencontrèrent une peau épaisse. Je vis alors Sire Gwefrfwar s'approcher de la bête féroce et écarter les bras en croix, lame au clair mais sans signe réel d'agressivité. L'heure n'était pas à faire dans la psychologie, mais plus tard, j'eus le temps de réfléchir à son geste et me dis simplement qu'il n'avait plus toute sa tête. Il fût balayé d'un terrible coup de queue qui l'arracha du sol, puis il heurta un morceau de bois mort dans sa chute, ce qui le laissa inconscient. Sire Nowy n'eût guère le temps d'éviter les mâchoires qui se refermèrent sur lui, le serpent le jeta à bonne distance, et il resta inanimé à son tour. Je fus moi-même blessé, et il incomba à Sire Bélias et Sire Norbert de terrasser la bête pour nous sortir de l'impasse.
Meurtris, et par on ne sait quel hasard, nous parvînmes tout de même à regagner la demeure de Sire Félix le lendemain.

Une fois rétablis, nous reprîmes la route au début de l'été. Hélas, Sire Nowy devait supporter une période de convalescence encore bien longue, et il fut décidé qu'il attendrait notre retour au château de Northampton. Reprenant la direction indiqué par Sire Félix, nous ne parvînmes pas à trouver cette intersection repère dont il nous avait tant parlé, et conclûmes qu'une fois de plus, cette forêt nous avait noué un mauvais tour. Cependant, Sire Bélias ne parvint pas à réprimer sa colère et il décida de prendre les choses en main : l'affaire qu'il avait avec le Roi Sauvage revêtait une importance capitale et ne pouvait encore souffrir de nos égarements successifs. Poussé par cette envie d'en finir bientôt, il entreprit de chercher lui-même le sentier que nous devions suivre, et, en brillant chasseur, Sire Bélias nous amena jusqu'aux portes du Château Sauvage. Quel château ! Je ne nourrissais que peu de passion pour l'architecture, même si je restais sans voix devant le génie et le savoir-faire des Romains qui nous avaient laissé des bâtiments impressionnants, mais là, je me demandais comment cette structure logeant au centre d'une vaste clairière ne s'était pas encore éboulée. Des tours couleur acre en nombre considérable s'entrecroisaient de manière irréelle, complexifiant une architecture improbable. Pris de malaise, je référai fixer l'herbe sous mes pieds.

Au milieu de l'après-midi, nous gagnâmes les remparts où des gardes en livré verte et rouge nous sommèrent de nous arrêter et de mettre pied à terre. Nous patientâmes le temps que deux chevaliers répondant aux noms de Sire Lune et Sire Soleil nous rejoignent pour nous interroger à l'abri d'un cabanon près des remparts. Les deux hommes ne semblaient pas être d'accord sur les décisions à prendre, mais il fût accepté que nous puissions rencontrer un porte parole du Roi Sauvage.

Le Château Sauvage

Ce fût un homme plein de grâces, le port altier, le torse bombé qui fît son apparition quand nous fûmes introduits dans le hall principal du château. Une salle grandiose, richement décorée et éclairée naturellement par les grandes ouvertures qui perçaient ses murs : je ravalais un hoquet de stupéfaction. Sire Galant, car c'est ainsi qu'in se présenta à nous, était un homme proche du Roi, on pouvait le deviner rien qu'en observant sa tenu : à ses côtés, nous avions plus l'air de paysans qui auraient malencontreusement perdus l'équilibre près d'une fausse à purin bien remplie. Il n'avait pourtant rien d'arrogant et nous logea dans des appartements de luxe, où nous pûmes prendre un bain et nous détendre. Tout ceci cachait selon moi quelque chose, j'avais le sentiment que nous n'étions pas les bienvenus en ces lieux. Je demandais donc naturellement à mon écuyer de veiller sur mon équipement et de se tenir alerte. Mon malaise s'accrût lorsqu'au soir, je fis la rencontre du Nain, sans importance, ainsi que celle de la Dame Sauvage, la même que nous avions rencontré près de la fontaine le jour où j'avais accepté, sans pour autant que mon avis ne soit écouté, d'endosser la malédiction des pies.
Attablés ensemble ce soir-là, nous échangeâmes quelques banalités et peu d'informations filtrèrent. Nous découvrîmes cependant que les gens du Roi Sauvage vivaient détachés du monde, dans l'autarcie la plus complète, qu'ils faisaient peu de cas du monde extérieur, et surtout, qu'ils n'avaient pas l'air de savoir ce qu'était la Grande Bretagne. Cela n'empêchait pas la fête de battre son plein.

Le lendemain, et les jours qui suivirent, nous visitâmes les lieux, le château puis la ville, et nous pûmes nous faire une idée encore plus précise des étranges traditions locales.
Jusque là, il nous avait été impossible de rencontrer le Roi Sauvage, son trône était resté vide car il était, aux dires de Sire Galant, absent. C'est en me demandant combien de temps encore il faudrait rester ici que j'arrivais un soir à un nouveau banquet organisé dans le grand hall. Mais ce soir là, le trône était occupé. L'homme portait les attributs d'un Roi, ou du moins d'un sujet important, mais cela s'arrêtait là : je trouvais qu'il n'avait guère de prestance, du moins, pas celle qui était en rapport avec sa fonction. A plusieurs reprises pendant le repas, il n'hésita pas à faire quelques remarques cinglantes qui nous étaient destinées. Cela nous obligea, Sire Norbert et moi-même, à nous présenter. En vain, car ce substitut de Roi nous congédia sans perdre de temps en faisant mine de ne pas nous voir. Je compris par la suite qu'il nous testait. Il voulait savoir à quel point nous pouvions être de bons courtisans à l'apparence soignée et doués d'une élocution irréprochable, capables de retenir l'attention d'un hôte en se présentant... Je n'étais pas très dégourdi en la matière. Je découvris alors que Sire Bélias avait passé des épreuves au cours de la journée, il ne pouvait pas en parler et il attendait de passer une troisième épreuve, mais quand le banquet fût terminé, et que les invités se retirèrent, la Dame Sauvage vînt le trouver pour lui dire qu'il avait échoué à l'ultime épreuve. En effet, il avait mal interprété certains propos qui l'avaient poussé à ne pas prendre la parole pour s'adresser au soi-disant Roi, or, c'était là tout le but de la dernière épreuve. Sire Norbert et moi conclûmes que nous avions échoué lamentablement à cette même épreuve.

Nous tentâmes cependant de passer les deux premières épreuves les jours qui suivirent. La première, celle du Nain, consistait à l'affronter au cours d'une partie d'échec, tout en échangeant des informations sur des domaines de connaissances multiples et variés. Ce nabot en avait dans le ventre, je fus battu à plate couture. La deuxième, celle de Sire Galant, avait pour objectif de capturer un oiseau de proie qui symbolisait le trait de personnalité qu'on chérissait : je n'y parvins pas. Mes camarades passèrent eux aussi ces épreuves avec plus ou moins de succès, puis comme il n'était plus possible, cette année, de passer l'épreuve de Dame sauvage, nous décidâmes qu'il était temps de regagner nos domaines que nous avions délaissés trop longtemps.

Cette année-là, à l'hiver, nombre de rumeurs circulèrent et arrivèrent jusque chez nous.
Ainsi, nous apprîmes que les Saxons avaient débarqué à Yarmouth, avaient remonté la rivière et prirent la cité de Norwich après une bataille contre le Duc de Caercolum. A leur tête se trouvait un nouveau roi, le Roi Cwichelm, bien décidé avec ses hommes à élire domicile sur les terres de Grande Bretagne.
A l'Ouest, le Roi Idres était parvenu à soumettre l'ensemble des Cornouailles à son autorité. Il avait même livré bataille à Dorchester, dans le Dorset, mais avait dû se replier face aux solides remparts de la cité et à la grande vaillance du Prætor Jonathel.
A l'Est, le Roi Ælle du Sussex était en guerre contre les Jutes du Kent. Les deux adversaires avaient entre autre proposé aux nobles de Grande Bretagne de ne prélever aucun tribut à quiconque enverrait cinquante chevaliers pour les soutenir dans l'effort de guerre. Il y eut des problèmes de communication, et les négociations semblaient ne pas avoir aboutis.
Et enfin, en Cambrie, le Roi Nanteleod d'Escavalon remporta une bataille décisive contre la tribu Byrcheiniog des montagnes cambriennes, qui n'opposa pas une réelle résistance. Le roi accepta alors sans contester son nouveau lien de vassalité, et ainsi renforcé, Sire Nanteleod marcha à l'est contre le royaume irlandais d'Estregales, dont le jeune roi n'avait pas envisagé avoir à affronter une telle force. N'ayant le temps que de rassembler de maigres troupes, il fut et devint à son tour vassal du Roi Nanteleod d'Escavalon.