492 : Le Tribunal

Voilà déjà 2 ans que j'ai rejoint les tristes Sires Jordan et Heringdale. Tous trois vétérans des batailles de Lindsey et de Terrabil, il m'est encore pénible d'imaginer que l'année passée nous ait vu commettre pires ignominies qu'en ces temps guerriers. Mais je m'égare déjà, et il serait plus juste de débuter ce récit par son commencement.

Après avoir fêté la naissance de Notre Seigneur le Christ en la cité de Terrabil, à la table de Sire Thébert, nous fûmes affectés à la protection de ces terres orphelines de chevaliers. Aidés dans cette tâche par deux freluquets vierges de batailles, les Sires Luc et Magnus, nous patrouillâmes durant plusieurs semaines ces lopins de terres, qui nous étaient étrangers, sans aucun événement notable.
Puis, au détour d'un chemin forestier, nous croisâmes un vieil homme que Sire Heringdale reconnut comme étant Merlin : le plus grand druide de Bretagne nous attendait et nous demanda quelques faveurs, pour le bien du Royaume, selon ses dire, et consistant à le suivre dans un premier temps.
Il nous mena jusqu'à une clairière, au fond des bois où nous devions l'attendre plusieurs heures. Il nous demanda de le protéger à son retour, et nous rappela la nécessité impérieuse de la mission dont il semblait investi.
Nous nous postâmes ainsi de l'autre côté de la clairière, juste assez grande pour une charge de cheval, expectants l'arrivée du sorcier avec à ses trousses quelques géants ou peut-être même un dragon. Quelle ne fut pas notre surprise de voir apparaître Merlin tenant une sorte de paquet, qui a cette distance aurait pu aussi bien être un jambon qu'un couffin, poursuivi par plusieurs chevaliers.

Armes de Sire Brastias

Poussés par l'excitation de nos montures, la soudaine vivacité de nos muscles engourdis et l'inflexibilité de nos paroles données, nous chargeâmes. A travers la clairière, nous chargeâmes. Sans reconnaître le Bras Coudé en Armure d'Argent sur Sinople, nous chargeâmes. Le choc fut terrible, le choc des lances contre les boucliers, puis les armures, puis la chair, puis plus rien. Après quelques instants passés à ferrailler, l'absurdité de cette lutte intestine entre bons vassaux du Roi Uther nous apparut, et malgré quelques réticences à renoncer à notre promesse, nous laissâmes passer Sire Brastias, puisqu'il s'agissait bien de lui, et ses quelques hommes encore debout.
Malheureusement, ils ne trouvèrent pas Merlin, et ils nous expliquèrent comment Merlin avait enlevé l'unique héritier du Roi Uther Pendragon.

Brastias et ses chevaliers nous arrêtèrent pour haute trahison à la couronne, et nous conduirent aux geôles de Tintagel pour y attendre notre procès. Durant les 3 longues semaines de notre attente, nous partagions notre cellule avec 4 autres chevaliers, eux aussi dupés par Merlin.
Heureusement, nous avions prévenu notre Seigneur-lige, qui dépêcha Sire Elad et l'Evêque Roger de Sarum, pour nous assister dans notre défense. Nous leur racontâmes ce qu'il s'était passé, et furent de bons conseils quant aux choses à mettre en avant lors du notre futur jugement.

Le Tribunal

Nous reçûmes ensuite la visite d'une toute autre personne, beaucoup moins sympathique : le Père Dewi, réputé pour son fanatisme religieux, sa droiture et son intransigeance. Celui-ci questionna les chevaliers chrétiens –c'est à peine s'il s'aperçut de la présence de Sire Heringdale– pour déterminer comment Merlin nous avait recruté pour cette funeste mission, puis se retira, non sans dire que le temps des dieux et des croyances païennes était désormais révolu.

Puis vint le temps du procès, mené par le Roi Uther, assisté du Duc Ulfius de Silchester et de l'Evêque Dubricus, tandis que la Reine Ygraine revêtait le noir du deuil. Force est de constater que, si le procès fut conduit à charge, il le fut avec une certaine équité, nous laissant exprimer notre point de vue, et ainsi développer notre maigre défense, bien qu'il nous parut évident que la Reine souhaitait notre mort en contrepartie de la perte de son enfant.
Et malgré nos exploits passés, ou encore le soutien inconditionné de Sire Roderic de Salisbury par l'entremise d'une lettre remise au Roi par Sire Elad, nous ne dûmes peut-être notre salut qu'à l'intervention de Père Dewi. Ce dernier conclua de son investigation que nous avions été ensorcelés par la magie de Merlin, puis poursuivit sur le fait que jamais le Roi de Logres n'aurait dû accorder sa confiance à cet enfant du démon. Il lui faudrait donc bannir Merlin de sa cour, et de la Bretagne, puis purger sa cour des effets de sa magie, sans quoi, seule la ruine du Roi, de sa famille, et de toute la Bretagne ne peut en résulter.

Prenant conseil auprès de l'Evêque Dubricus, le Roi Uther rendit son jugement :

Voici les mots du Roi de Logres.

Je déclare ces hommes innocents de l'acte de trahison dont on les inculpe. Les charges retenues contre eux sont démises, et ils sont priés de rencontrer rapidement l'Evêque Dubricus pour y recevoir la bénédiction de Notre Seigneur, et ainsi être purifiés des teintes païennes qu'ils portent malgré eux. J'encourage tous les chevaliers qui se réclament à mon service à faire de même, et à se convertir au christianisme.
En outre, cette cour affirme que seul Merlin l'Enchanteur est responsable de l'enlèvement de mon enfant, et est ainsi condamné à mort pour traîtrise à la couronne, puisqu'il a, en toute connaissance de cause, porté atteinte au trône de Logres.
Que ces nouvelles soient portés à tous les seigneurs et toutes les guildes pour être lues en place publique et connues de tous. »

Peu après le procès, encore sous le choc de ce qui venait d'être prononcé, un messager se présenta, nous demandant de relayer la nouvelle comme quoi le Roi Pellinore, parti trop longtemps en chasse après une bête fabuleuse, doit impérativement retourner en son pays, où les Trois Cadwys, chefs de tribus des montagnes, forgeraient une coalition pour reverser son pouvoir. Le Roi du Norgales serait comme ensorcelé par cette créature, au point d'en oublier tous ses devoirs envers ses sujets.

De retour chez nous, les nouvelles nous avaient déjà précédées, et nous étions désormais connus comme « les chevaliers qui ont fait condamner Merlin ».
Je passais l'hiver à remercier le Seigneur d'avoir su transmettre sa miséricorde à notre bon Roi, et priait pour que son règne soit encore long et couronné de nombreuses victoires.